La discrimination à l’emploi basée sur l’âge, également appelée âgisme, est illégale et interdite en Belgique. Pourtant, il s’agit d’une réalité quotidienne, en particulier dans le processus de recrutement. Comment se manifeste-t-elle ?
Une réforme en profondeur des allocations de chômage entrera progressivement en vigueur en Belgique d’ici la mi-2026 (*1). L’une des mesures phares porte sur la limitation à un maximum de deux ans du droit aux allocations de chômage. Après cette période, le demandeur d’emploi perdra ses droits, sauf s’il relève d’une exception : passé professionnel suffisant à 55 ans ou formation à un emploi dans un secteur en pénurie, et ultérieurement à une fonction critique dans le secteur des soins de santé (infirmier ou aide-soignant).
La limitation des allocations de chômage dans le temps ne s’appliquerait donc pas aux personnes de 55 ans et plus, pour autant qu’elles puissent justifier, en 2025, au moins 30 ans de carrière, avec au moins 156 jours travaillés par an. Selon les estimations de l’Onem (qui restent à affiner), 82% des 55 + actuellement au chômage ne répondraient pas à cette double condition.
Globalement, l’intention du gouvernement belge, initiateur de cette réforme, consiste à inciter les demandeurs d’emploi à rechercher du travail plus activement, quel que soit l’âge ; tout en baissant les dépenses liées au chômage. Une grande partie des demandeurs d’emploi de 55 ans + n’échapperont donc pas à cette mesure. L’une des questions soulevées ici porte sur la probabilité de retrouver un emploi à cet âge.
Intuitivement, la réponse serait plutôt pessimiste : un employeur n’a-t-il pas intérêt à recruter une personne plus jeune, à « investir » sur le long terme ? Toutefois, d’un autre côté, un demandeur d’emploi plus âgé peut faire valoir une expérience professionnelle (bien) plus étoffée. Question fondamentale, en fait : observe-t-on une discrimination à l’embauche fondée sur l’âge, ce qu’on appelle l’âgisme ?
Une équipe de chercheurs de l’Université de Gand (*2) s’est récemment penchée sur le sujet. Et ses conclusions sont éclairantes. Les auteurs ont réalisé une méta-analyse d’études publiées entre 2005 et 2020 en Europe et aux Etats-Unis, destinées à évaluer l’ampleur de la discrimination à l’embauche selon dix motifs légalement interdits (origines, genre, âge, religion…) : ce travail a porté sur 306 expériences issues de 169 études différentes, près de 965.000 candidatures fictives envoyées en réponse à de vraies offres d’emploi. Les facteurs discriminatoires les plus marqués portent – par ordre décroissant – sur le handicap, l’apparence physique, l’âge et l’origine ethnique.
L’âge arrive donc en troisième position.
- Le ratio de discrimination (DR) pour les candidats âgés est estimé à 0,6867.
- Cela signifie que les candidats âgés reçoivent environ 31% de moins de réponses positives que les candidats plus jeunes aux profils équivalents.
- Ce résultat est hautement significatif sur le plan statistique (p < 0.001).
La discrimination liée à l’âge est plus marquée en Europe qu’aux États-Unis. Ceci suggère une plus grande stigmatisation des travailleurs âgés en Europe, peut-être en lien avec des perceptions concernant la flexibilité, l’innovation ou le coût du travail. Les employeurs pourraient considérer les candidats âgés comme :
- moins « adaptables » aux nouvelles technologies, méthodes ou processus
- moins dynamiques ou motivés
- plus coûteux (salaires plus élevés attendus)
- moins susceptibles d’être « modelés » par l’entreprise
Mais ces stéréotypes sont rarement fondés sur des preuves objectives. Et contrairement aux attentes, aucune diminution significative de la discrimination fondée sur l’âge n’a été observée entre 2005 et 2020. Elle reste stable et structurelle dans de nombreuses régions étudiées.
Dans plusieurs pays européens – dont la Belgique -, les candidats plus âgés reçoivent en moyenne environ 50 % de réponses positives en moins que leurs homologues plus jeunes. L’étude cite notamment Baert et al. (2016), qui ont mené une expérience en Belgique en utilisant une différence d’âge de seulement 6 ans (par exemple 42 ans vs 48 ans), et qui montre que même des écarts relativement faibles à un âge pas encore avancé suffisent à déclencher un biais discriminatoire.
Réduire la durée des allocations de chômage vise à renforcer l’incitation à retravailler, mais cela suppose, concernant en particulier les 55 +, que les emplois soient équitablement accessibles, ce qui est démenti par les données de terrain. Sans politique de lutte contre la discrimination à l’embauche (contrôles, sanctions, campagnes, quotas…), de nombreux travailleurs âgés pourraient être exclus du marché de l’emploi tout en étant privés de leurs allocations de chômage.
(*1) Les détails de la mesure mentionnés ici sont susceptibles d’être adaptés par le législateur.
(*2) The state of hiring discrimination : a meta-analysis of (almost) all recent correspondence experiments. Louis Lippens (UGent) , Siel Vermeiren and Stijn Baert (UGent). (2023) EUROPEAN ECONOMIC REVIEW. 151.